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Colette Arnould, Histoire de la sorcellerie ([2019] 1992)

Dans le sens commun, la figure de la sorcière renvoie à une vieille femme laide, se déplaçant sur un balai et préparant des potions à partir d’animaux type crapauds, chauve-souris ou serpents. Mais d’où vient cette représentation ? Ce livre vise à répondre à cette question à partir d’une histoire de la sorcellerie et, plus largement, « des démons » et de Satan.

L’histoire de la sorcellerie commence durant l’Antiquité : la magie, la religion et la superstition sont liées, mais les Grecs associent certains aspects du mysticisme asiatique, les Romains empruntent à la Grèce. Que ce soit en Grèce ou à Rome, la magie était condamnée. Les figures de Médée ou d’Hécate renvoient à la sorcellerie et inspirent la crainte et le dégoût. A Rome plus spécifiquement, la magie est liée aux crises de manière générale, et même si certains empereurs ont recours à des oracles, la magie est vue comme susceptible de remettre en cause le pouvoir. Avec le christianisme, la sorcellerie est dissociée de la magie et les Pères de l’Eglise, c’est-à-dire les auteurs antérieurs au VIIIe siècle et ayant théorisé le rôle de l’Eglise, s’interrogent sur le diable et les démons. Ils montrent par exemple que les démons sont à l’origine des rêves et peuvent s’attaquer aux personnes les plus vulnérables, les femmes notamment. Au moyen-âge, Satan a une forme plus précise : il est un animal, un humain, ou un monstre. Il a aussi des capacités illimitées et chaque phénomène inexpliqué trouve son explication dans l’œuvre du diable qu’il s’agisse des éclipses, des comètes, des orages ou de la maladie. Le lien avec l’hérésie, c’est-à-dire « tout crime commis contre la foi, toute croyance contraire » (p. 139) est fait assez vite. Dès le Xie siècle, les hérétiques sont ceux qui sont contraires aux dogmes de l’Eglise, et cela implique certaines « sectes » comme le manichéisme, l’Islam ou le judaïsme. L’Inquisition, créée au XIIIe siècle, avait pour but de traquer les hérétiques. Contrairement à ce que l’on peut croire, elle n’agissait pas que par la peine de mort et la torture. A partir du XIVe siècle, l’Inquisition commence à s’intéresser à la sorcellerie avec le procès des Templiers. C’est en 1322 que Bernard Gui, Inquisiteur de Toulouse, écrit la Practica (le Manuel de l’Inquisiteur), destiné à donner les règles à suivre pour poursuivre les hérétiques. En 1376, Nicolau Heymerich publie Le Manuel des inquisiteurs. Ces ouvrages serviront de référence jusqu’à être complétés par le Malleus Maleficarum, le Marteau des sorcières (1486), un ouvrage écrit plus spécifiquement pour combattre les « sorcières ». La distinction genrée est alors bien présente.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le Moyen-âge n’a pas été la période la pire par rapport aux « hérésies ». C’est surtout aux XVIe et XVIIe siècle que, dans la plupart des pays d’Europe, les sorciers et sorcières sont brûlées. Les « démonologues » étudient les comportements des démons et en plein milieu de la Renaissance et du début de la Modernité, des ouvrages justifient la lutte contre la sorcellerie. Au cours du XVIIe siècle, des voix s’élèvent contre ces pratiques et il faut attendre la fin du XVIIe voire du XVIIIe siècle pour que les bûchers s’éteignent. Officiellement interdits, des lynchages avaient lieu contre de prétendus sorciers ou sorcières et c’est véritablement au XIXe siècle que les sorcières et le diable disparaissent même si les superstitions restent présentes.

Ce livre d’histoire est très bien rédigé et est agréable à lire. Il soulève de nombreuses questions sur nos rapports aux croyances et aux superstitions. Je vous le recommande si vous voulez en savoir plus sur la gestion de la sorcellerie, mais il ne faut pas s’attendre à avoir de récits de tortures ou de rites : ce n’est pas du tout l’objet de ce livre.