Pramoedya Ananta Toer, La vie n’est pas une foire nocturne (1950-1951)

Pramoedya Ananta Toer (1925-2006) est l’un des écrivains indonésiens les plus célèbres hors de son pays natal. Auteur prolifique, ses écrits sont traduits dans de nombreuses langues. Mais il a également passé de nombreuses années en prison pour des raisons politiques. Avant d’aller plus loin, il importe de donner le contexte politique de l’écriture des textes qui composent ce recueil.

En 1942, les forces japonaises arrivent en Indonésie et mettent un terme à un siècle et demi de colonisation néerlandaise. Entre 1942 et 1945, année de l’indépendance de l’Indonésie, l’occupation japonaise est particulièrement violente et se traduit par une guerre d’indépendance. Les japonais présentent leur réédition en 1945, mais l’indépendance est véritablement acquise en 1949. Cependant, l’Indonésie est un pays immense (plus de 5000 km d’est en ouest et plus de 2000 km du nord au sud). L’unité nationale est quasiment impossible et des phénomènes de collaboration auprès des néerlandais et des japonais ont créé des scissions au sein du peuple. Par ailleurs, les Hollandais sont toujours présents sur place et maintiennent une autorité. En parallèle, différentes forces s’opposent : Républicains, communistes, nationalistes ou militants musulmans. Dans ce contexte, Pram doit trouver sa place au sein d’une société marquée par le chaos…

C’est ainsi que les quatre textes présents dans ce recueil ont été écrits au fil des années. Le premier, Vengeance, se situe en 1945. Pram avait 20 ans et appartenait à une milice populaire. Il raconte l’histoire d’un lynchage et le narrateur médite sur l’intérêt de la vengeance face aux trahisons pour espionnage. La seconde, Gado-Gado, se situe à Jakarta. Nous sommes en 1947 et le narrateur est en prison. Il raconte ce qu’il y a conduit et propose une réflexion sur les impacts de la guerre pour l’humanité. Il y critique notamment l’emploi de la bombe nucléaire et raconte les violences qu’il a subi de la part de soldats. Le troisième texte, Blora, se déroule en prison. Il rêve de sa libération et des difficultés auxquelles il aura à faire face par rapport à sa famille et aux conséquences de la guerre. Enfin, le dernier texte donne son titre au recueil. Il se déroule en 1949, le narrateur vient d’être libéré de prison et retrouve sa famille qui a largement souffert de la guerre. Son père est très malade et il doit tenter de l’accompagner au mieux dans ces moments pénibles.

Ces nouvelles sont quasiment des témoignages mais quelques éléments fantastiques apparaissent de manière ponctuelles. Elles permettent cependant d’apporter un éclairage sur une période de l’Histoire mal connue en France. L’auteur, qui avait 20-25 ans au moment de sa captivité, témoigne d’une maturité importante dans les différents textes. Il raconte la guerre, l’incertitude, le chaos même, sur une situation dont il était, comme tant d’autres, la victime. Aux frontières du témoignage autobiographique, ces textes sont passionnants à lire, les détails donnés permettent de bien contextualiser et de se mettre à la place du narrateur.

J’avais acheté ce recueil parce que la collection « Connaissance de l’Orient » de Gallimard propose systématiquement des textes riches et accessibles et l’Indonésie est un pays qui m’est totalement inconnu. C’est une belle découverte, mais à ne pas lire si vous êtes déprimés.

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